L'embourgeoisement du tatouage

Teddy Boy © Ben Watts

Teddy Boy © Ben Watts

Le tatouage ne symbolise plus la même chose, il y a un avant et un APRÈS. Aujourd'hui le tatouage témoigne d’une union entre deux mondes, deux univers distincts.  

Le tatouage existe depuis des millénaires et s'inscrit dans la culture de nombreuses civilisations. Ce dessin permanent, effectué sur la peau d’un individu, a un rôle symbolique ou uniquement esthétique. Les premiers signes d’apparition de ce dernier remontent à plus de 5000 ans av JC, avec des statuettes funéraires découvertes dans des tombeaux japonais (cela permettait de faire passer les morts jusqu'à l'au-delà). Sur le continent Africain, on retrouve ces traces, vers 2160 av JC ; l'Egypte ancienne étant considérée comme le berceau du tatouage. En plus de ses prétendues propriétés spirituelles, le tatouage est devenu un signe d’appartenance à un groupe, un peuple, une tribu, une ethnie ou autres, dans le monde entier. En Polynésie, il marquait l’adhésion à un rang social élevé. En Asie, il était porté par les bandes organisées (malfaiteurs) ou utilisé pour punir les criminels, telle une sentence qui les marquerait à vie. Le tatouage fait partie de l’art populaire. Il démontre qu’il n’est nul besoin de provenir d’un art noble pour s’inscrire dans le temps, dans les esprits et dans les cultures. Toutefois, il est parfois banni. Il n’est pas considéré comme un acte pieux et est condamné par les  religions monothéistes, comme écrit dans le Lévitique (Torah) : “Vous ne ferez pas d’incision sur votre chair et vous n'écrirez pas de signes sur vous. Je suis éternel”. La religion ou la criminalité (prisonniers, gangs) lui ont conféré une image péjorative. Il avait donc une image contraire aux exigences sacrées et était considéré comme une mutilation de la création divine, d’appartenance à des groupes violents ou anti-conformistes. Malgré le retour de sa popularisation, début XIXème siècle, en Amérique du Nord et en Europe, avec les marins et soldats (les armoiries et leurs régiments étaient  gravés dans leurs peaux), le traumatisme lié à la seconde guerre mondiale et au régime nazi mit un frein au tatouage et lui donna une signification morbide. Ce procédé était en effet utilisé par les nazis pour marquer le peuple juif et les autres personnes internées dans les camps. Il faudra des dizaines d’années pour que le tatouage ne soit plus associé à la mort. Ce n’est que dans les années 70 que les mentalités commencent à évoluer, grâce à l'arrivée du mouvement hippie et pousse le tatouage à émerger mondialement.

Le tatouage actuel, dit “moderne”, est un mélange d'iconographies et de techniques anciennes, contenant les styles passés et en apportant les nouvelles conceptions et technologies pour proposer des nouveaux codes. L'embourgeoisement du tatouage est lié au secteur du luxe, du moins il lui a donné de la visibilité. C’est courant 2016, qu’il fait une entrée fracassante dans le monde du luxe. C’est l’année des collaborations entre ces marques ou maisons et ce monde aux antipodes qu’est le tatouage. On retiendra la collaboration séduisante entre l’horlogerie et celui-ci, pour les marques Hublot, Bell & Ross et Bulgari. Ce lien existait déjà pourtant dans le monde de la mode, fin 90, avec Martin Margiela et Jean-Paul Gaultier qui ont imposé des imprimés ou looks avec des tatouages. Par ailleurs, ces créateurs étaient plutôt marginaux, ils voulaient choquer les consciences. Le luxe d'aujourd'hui devient de plus en plus urbain, grâce en partie à l'émergence du rap et du streetwear, ce qui amène un discours différent et novateur sur le tatouage. La nouvelle génération, les millenials, changeront potentiellement le regard que l’on porte sur le tatouage car ils sont en quête de singularisation, de ne plus rentrer dans un moule social. Dans quelques années, il sera plus commun d’avoir ces dessins sur la peau. Cela ne segmentera plus en fonction des origines, des classes sociales, de la profession ou autres. Tout le monde pourra probablement se tatouer et l’arborer fièrement. 

Ainsi, le succès de l’alliance entre l’art, la mode et le tatouage tend à montrer que le tatouage sublime le corps. Nous sommes entrés dans une ère où c’est un phénomène mondial. Aujourd’hui, comme cela pu l’être par le passé, montrer son tatouage c’est se définir. C’est se définir dans le temps, c’est inscrire un instant sur la peau.

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Interview : alextrèscool