Ryoji Ikeda, infiniment sublime

S’inspirant de codes, formules, concepts physiques et musique minimale électro-acoustique pour ses compositions, Ryoji Ikeda s’adonne depuis les années 90 à l’élaboration d’un univers radical. 

« La beauté, c’est du cristal, de la rationalité, de la précision, de la simplicité…le sublime est infini : infinitésimal, immense, indescriptible. Les mathématiques sont une des formes les plus pures de beauté ». Lui-même ne se considère pas comme artiste, mais plutôt comme un scientifique au vu de sa pratique résolument expérimentale, mettant en lumière une approche sensible de notions mathématiques et de mécanique quantique dans toute sa pureté et sa précision. Un aspect minimal, un mystère abstrait et méditatif émane de sa pratique largement influencée par l’underground punk et camp. 

Il joue avec le besoin humain de comprendre la réalité qui nous entoure, confrontant  le spectateur à un flux ininterrompu d’informations codées, d’enchevêtrements de programmes et de bruits inassignables: glitches, signaux sinusoïdaux, fréquences très hautes et très basses. Il marque donc un intérêt pour les structures cachées allant au-delà des phénomènes perceptibles de notre univers et teste les limites de notre perception sensorielle. Par exemple, son oeuvre Micro/Marco créé en 2015 à l’occasion d’une collaboration avec le CERN, consiste en deux écrans bombardés d’une pluie de données chiffrées et nébuleuses de points aspirant à cartographier l’entièreté de l’univers tant dans son immensité, qu’à échelle atomique. L’oeuvre entend problématiser la transformation du monde en données et nous donne à voir cette nouvelle réalité, caractérisée depuis les années 60 par une surconsommation de l’information. 

D

La mise à plat de données scientifiques décontextualisées déferle et s’aligne sur des sons eux-mêmes générés par ordinateur, mettant en scène un rapport de pouvoir entre le code et le spectateur, permettant d’éprouver de manière sensible la puissance du flux informatique. Ces systèmes programmés par les humains, cette technologie, nous entourent au quotidien mais apparaissent ici paradoxalement étrangers et autosuffisants. 

En effet leur caractère générique est porteur d’une infinité. Ikeda s’attaque à la notion de sublime comme le « vertige de rencontrer quelque chose dont les principales caractéristiques dépassent la compréhension intellectuelle, [notre] esprit étant ainsi “élevé” au-dessus ou à tout le moins au-delà de ses interactions cognitives typiques avec les objets».  Andrew Chignellet et Matthew C. Halteman, «Religion and the Sublime». Cette vision du sublime mathématique kantien est parfaitement en adéquation avec son oeuvre. Elle instaure un sentiment d’écrasement, d’une grandeur excédant toute mesure, ou d’une réalité qui est non totalisable à l’échelle humaine et fait, mais dont on se dit qu’elle pourrait l’être en soit, du moins par la machine. 

Ainsi, par la technologie et les nouveaux médias, il brouille les frontières entre sciences, art et philosophie. La constante atmosphère saturée aboutit à une sorte d’extase, de dépassement palpable. Le temps d’un instant et surement pour la première fois,  il nous relie, nous fait ressentir, l’essence même des machines, des technologies et leurs codes habituellement imperceptibles dans notre présent pourtant hyper-connecté. 

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