Pendant 10 secondes, on ne fait qu’un

ART

L’art, aujourd’hui plus que jamais, invite à un langage sans parole, laissant l’imaginaire et l’extravagance parler sans la nécessité d’y ajouter des mots en guise d’explication. Photographer HAL a photographié des familles, des couples ou des amis emballés deux par deux, dans des housses plastiques, en expulsant l'air pour un maximum de pressurisation. Une sorte de vision du monde sous vide, un univers où l’on ne fait qu’un.


Originaire de Tokyo, Haruhiko Kawaguchi laisse transparaître au public sa vision de l’Humain ainsi que sa conception de l’Amour, tout en représentant cette limite invisible : le réel et l’irréel.

L’artiste japonais quitte ses études pour voyager à travers l’Inde, afin de délaisser sa routine quotidienne et se trouver. Avec lui, il embarque son appareil photo et un sac à dos afin de prendre quelques clichés en guise de souvenirs.
À ses débuts, il sortait son appareil face à des paysages, mais peu à peu, il trouve plus intéressant de photographier des personnes, attisant sa curiosité, des étrangers au regard perturbant, des expressions présentant de la tristesse ou de la gaieté, des tenues esquissant un sourire sur son visage... La photographie était devenue pour lui, un vaisseau d’approche aux autres et de contact social.


« La caméra était la clé pour dépasser ma timidité et la barrière de la langue, c’était une autre façon de communiquer avec des étrangers ».


L’artiste revient à Tokyo passionné et avec une seule idée en tête, s’approprier la photographie pour communiquer.
Il intègre une agence de publicité afin d’élargir ses connaissances dans son domaine de prédilection et apprendre la technique à la perfection. Une fois les bases nécessaires acquises, il se lance dans un travail sans relâche.


Un travail à la limite de la souffrance, une perte d’identité.



Haruhiko construit une prison en plastique pour les modèles en apnée durant 10 secondes, présentant pour eux un danger et à la fois, une excitation. Il se balade dans des bars et des clubs underground, des lieux proposant parfois des activités sexuelles tel que le BDSM, afin de trouver des personnes pour qui le danger procurerait une sensation de plaisir.
Avec précaution, il réunit des modèles généralement dans une chambre, une salle de bain, un endroit intime qui est parfois choisit par le couple lui-même. Le but reste de représenter un amour passionnel, des émotions ou même de pur inconnus ne font qu’un, et se mélangent.

L'artiste enveloppe des couples, se connaissant ou non, dans une bâche en plastique et à l’aide d’un aspirateur, il retire l’air pendant exactement 10 à 15 secondes. À quelques mètres de la prise de vue se trouve une bouteille d’oxygène et une équipe prête à intervenir. Fanatique de la transformation et la déformation des corps, le photographe a une obsession sur les baignoires, permettant au physique de se tordre, se chevaucher. La baignoire devient alors un endroit où les modèles ne sont plus qu’un, telle une union. Cette représentation visuelle de la pensée d’HAL nous laisse comprendre qu’auparavant, selon lui, genre et identité n’étaient pas des entités séparées, mais un mélange de chacun. Plusieurs modèles, après le shooting, exprime avoir vécu une expérience terrifiante, mais avoir eu la sensation de rentrer en symbiose avec le partenaire présent dans la bâche, comme si les veines et ce qui compose le corps de chacun était à cet instant le même.



«J’ai senti que c’était l’endroit le plus privé du foyer pour un couple. Ici, l’amour pouvait atteindre son apogée. »



Torture et Amour :

L’amour est un mot omniprésent et un sujet abordé par tant d’artistes. L’artiste japonais a également décidé de se l’approprier afin d’exprimer qui il est ainsi que que l’importance que prend ce sujet dans sa perception du monde. Ce thème l’obsède. Il serait selon lui, une forme de paix, une arme face à la violence, à la discrimination, à la haine. Ses œuvres, aussi différentes les unes des autres, s'articulent toutes autour d’une forme de cohésion et d’harmonie nous permettant d’apercevoir le monde utopique que l’artiste cherche à aborder et à instaurer.



« Je veux capturer l’amour tel qu’il est, et une baignoire est le véhicule idéal pour encapsuler la réalité dans mes images. Le plus grand thème dans l’histoire de l’Humain est l’amour, et moi, photographe Hal, je pousse au challenge ce thème majestueux »



Ces photographies donnent au spectateur une forme de malaise face à une vue de corps mélangé. Le but étant de ne pas desceller un corps d’un autre. L’Amour avec un grand A, c’est celui-ci.


Flesh Love et Flesh love Returns :

Deux séries de photographie ont marqué un tournant dans la carrière de Haruhiko. La première étant « Flesh Love » produite en 2011 et la deuxième « Flesh Love Returns ». On retrouve dans ces deux productions toujours autour du thème de l’amour et du corps, toutes les caractéristiques définissant son travail, tel que la prise des clichés dans des baignoires ou bien l’iconique couple sous vide.

Il enveloppe les modèles dans les bâches en plastique, vêtus de simples tissus, recouvert de mots ayant été fait à la peinture, avec des couleurs vives et des motifs. Ce qui est intriguant, pouvant même provoquer une sensation d’effroi, est l’illusion d’optique qui se produit dans les photographies réalisées. Les corps sont difficilement différentiables et semble sans vie. Le plus sordide, mais paradoxalement le plus impressionnant, est le regard et les expressions des modèles se laissant porter dans une expérience à la fois de connexion intime avec l’autre, mais proche de la mort car le besoin vital d’oxygène leur a été retiré. Les corps entrelacés et suffocants, laissent le physique et la peur prendre le dessus, car sous vide, le temps pourtant si court, paraît comme une éternité... Et l’humain rentre alors dans une forme d’état second, à la limite du conscient et de l’inconscient, à la limite de la réalité et du rêve.

Précédent
Précédent

Ryoji Ikeda, infiniment sublime

Suivant
Suivant

INTERVIEW : Adrien Garcia