Instagrammable sinon rien ou le culte de la culture par exposition

ART

La Génération Z, ou Gen Z, a déjà fait couler beaucoup d’encre sur sa manière de consommer et sa volonté de façonner la société selon ses nouveaux dogmes. Bien que le narcissisme, l’obstination et la vanité soient souvent utilisés pour caractériser ces jeunes nés entre 95 et 2010, la surexposition digitale dont ils sont coutumiers a néanmoins une conséquence positive : les jeunes se cultivent et le montrent (beaucoup). À tort ou à raison ? Introspection.

Le retour des beaux jours, célébration presque religieuse pour tout parisien qui se respecte, est l’occasion de siroter un verre en terrasse, tout en oubliant délibérément qu’il est toujours l’heure de travailler. Ces festivités saisonnières m’ont conduit à rencontrer un ami artiste. Notre relation à l’époque virtuelle, a débuté sur Instagram. En un clic, tout de même facilité par des « mutual friends », nous nous étions suivis il y a quelques mois. Au regard de son feed, un intérêt commun surgit. Films, musiques et artistes défilant au fil de nos publications et story respectives révélaient ostensiblement un goût commun. Aucun doute : nous partagions le même capital culturel. Ce fameux capital que l’on met en avant sur nos réseaux sociaux, vitrine digitale de nos vies trépidantes. Et si le fait que des liens se créent sur la base d’un intérêt partagé n’a rien de vraiment nouveau, c’est une phrase précise qui lui a échappé qui m’a poussé à m’interroger.

 Alors qu’une berline noire passait devant nous et s’enfonçait dans la rue Jacques Callot à vive allure, nous avons remarqué qu’un pan de robe en satin rose dépassait largement de la portière droite. Exclamation de mon voisin de table qui n’a pas le temps de sortir son téléphone : « Et merde, voilà une vidéo à 1 million de vues qui s’en va ». Je le questionne alors sur ce besoin de tout filmer, sur son rapport à l’image, et sur ce danger de ne vivre que pour « poster ». Il me rassure en m’expliquant que sa démarche à lui vise à mettre en valeurs son travail. Soit. Quid alors de ceux qui aiment le beau sans en vivre ?

Post Instagram de l’influenceuse Caroline Daur, 28 ans et 4,2M d’abonnés. En légende, « *Va au musée* (noue son pull autour du cou, les bras se croisent naturellement dans le dos et le QI qui s’élève de 62 à 100) ».

De manière générale, la Gen Z semble bien moins pudique que ses aînés à assumer ce besoin d’extimité. Le concept était décrit par Serge Tisseron au début des années 2000 comme « le désir de communiquer sur son monde intérieur ». Ce désir intrinsèque à la notion d’intimité est de fait lié à la communication directe de l’estime de soi. Et s’il y a une chose que notre génération sait faire - ou sait feindre ? - c’est bien l’expression de l’estime qu’elle se porte.

Il y a pourtant quelque chose d’inquiétant à se dire que les vieux ont parfois raison. Et si on peut lire sur le site de Radio France que notre génération « se croit la meilleure », il est intéressant de parfois se remettre en question. Je ne crois pas qu’il s’agisse tant de narcissisme que d’un besoin vital de se faire adouber par nos pairs, voire d'essayer de les trouver. L’idée même du partage et des « communautés » sur les réseaux sociaux s’est tellement répandue qu’il est facile d’en tirer l’enseignement de notre époque : dis-moi ce que tu postes et je te dirai qui tu es.

Post Instagram d’Emma Chamberlain, youtubeuse américaine de 22 ans qui cumule 16 millions d’abonnés sur le réseau social.

Une page de livre, une expo, une scène de film. Notre génération a renoué avec l’envie de se cultiver et d’en faire profiter le plus grand nombre. Que parle maintenant celui qui n’a jamais partagé sur son compte Instagram l’un de ses exemples. Et si de plus en plus de comptes dédiés à l’art et à la culture voient le jour (@filmthusiast, 2,8M d’abonnés / @insidethemood, 56K d’abonnés / @somethingcurated, 142K d’abonnés), les comptes personnels ne sont pas en reste. Mon amie Apolline m’a un jour raconté qu’elle faisait partie d’un groupe Messenger où ils étaient plusieurs à s’envoyer leurs découvertes musicales du moment. Poétiquement appelé « Eargasm », le groupe liait des gens qui s’entendaient bien, mais qui ne se seraient sans doute pas parlé quotidiennement si ce n’était pour cette passion commune. Et nous savons tous qu’il est agréable, même si toujours surprenant, de recevoir un dm après avoir partagé publiquement sur son compte un morceau que l’on aime ou une œuvre d’art qui nous émeut et qui touche visiblement bien plus que nous seuls. La culture exposée, nouveau remède à la solitude donc.

L’influence de cette surexposition digitale et du rôle prépondérant d’Instagram dans nos vies a été sacrée début mai d’une reconnaissance étonnante. En effet, l’adjectif instagrammable fait son entrée dans l’édition 2024 du Petit Robert avec cette définition : « Se dit d’un lieu, d’un objet, d’un mets, d’un événement, etc., qui, par sa beauté ou son originalité, est digne d’être photographié, puis posté et amplement partagé sur le réseau social Instagram. ».

S’il fut un temps où il suffisait d’utiliser le terme photogénique, force est de constater que la notion de valeur instagrammable joue inexorablement sur notre manière d’appréhender nos moments de vie. Il peut paraître troublant de voir à quelle vitesse il nous arrive de dégainer nos iPhones lorsque le sujet nous semble digne d’intérêt. Quête du souvenir immortel ou humble volonté de partage, qu’importe pourvu que cela ne reste pas isolé dans nos albums (digitaux) personnels.

 

L’enseignement ici à tirer est finalement de ne pas avoir honte de participer à la stimulation intellectuelle collective. Si certains persistent à y voir une certaine forme de présomption, voire d’arrogance, rien n’enlèvera à la Gen Z sa soif d’apprendre, de découvrir et surtout de partager. Quoi qu’il en soit, comme disait Guitry, rien de grand n‘a jamais été fait par modestie.

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