Démocratisation de la seconde main : les causes et conséquences de ce bouleversement

© Ikie Louie Natividad

© Ikie Louie Natividad

Depuis quelques années, la seconde main renaît de ses cendres. Nombreux sont ceux qui tendent à une consommation plus éthique, visant à contrer la fast fashion. Les causes de ce changement sont multiples.

La fast fashion, ce segment de l’industrie textile qui se définit par un renouvellement très rapide des vêtements, est en grande partie responsable de cet ébranlement. Avec, entre autres, plusieurs collections par mois (toutes les 2 à 3 semaines), des prix très attractifs et des produits de moindre qualité, ce secteur présente de vrais problèmes. La chaîne télé culturelle Arte a sorti courant 2021 le documentaire Les dessous de la mode à bas prix qui en soulève plus d’un. Réalisé par Edouard Perrin et Gilles Bovon, on (re)découvre que les conditions de travail des «employés» sont illégales et hors-norme. Que ce soit dans des pays émergeants, tels que l’Inde, la Chine, le Bangladesh ou dans des pays de l’Europe comme le Royaume-Uni, hommes, femmes et parfois enfants travaillent souvent sans contrat et sans aucune sécurité (pas de chauffage, au contact de substances toxiques, etc.). La fast fashion surproduit, entraînant une durée de vie des produits courte. Ces ‹ fringues › furtivement tendance sont par la suite jetés, faute de pouvoir se décomposer ou être traités par les entreprises de récupération. L’impact environnemental est immense : la mode est aujourd’hui dans le top 10 des industries les plus polluantes au monde. Autre problématique exposée dans le documentaire : les stratégies marketing très affutées. En stimulant certaines parties du cerveau, ils créent l’envie, une certaine impression de rareté et de manque si l’on n’acquiert pas le produit instantanément; générant nous un comportement d’achat impulsif qui pousse à la surconsommation.

De plus en plus de personnes souhaitent dépenser de façon plus éthique et les marques ont su s’emparer de ce nouveau marché dit «green». En proposant des séries «recyclées» ou «éthiques», l’acquéreur pense faire une bonne action alors qu’il est trompé par du «greenwashing» (terme désignant l’ensemble des pratiques marketing visant à user et à abuser des positionnements ou des pratiques écologiques à des fins seulement mercantiles).

Une autre alternative à la fast fashion est disponible aujourd’hui. La slow fashion, alias le «consommer moins, consommer mieux» vit sa pleine période de gloire. Ces nouveaux consommateurs en recherche d’une approche raisonnée, d’un achat plus éthique et soucieux des droits humains et de l’environnement ont des intentions qui ne peuvent qu’être saluées. Néanmoins, ce qui peut freiner l’adoption de la slow fashion est en premier lieu le coût (bien plus élevé), une offre plus réduite et un temps d’acquisition qui peut être plus long (avec les pré-commandes par exemple).

Suite à une remise en question, nombreux consommateurs se sont donc tournés vers l’occasion et le vintage. Autrefois réservé, en grande partie, à une population à revenus plus modestes, la seconde main est aujourd’hui en plein essor pour tout un chacun. Selon Thomas Delattre, professeur à l’Institut Français de la Mode, «en 2010, 15% des consommateurs ont acheté un produit de mode de seconde main contre 40% en 2019». Le confinement a amené de nombreuses personnes à s’y mettre. Contraint à rester chez soi, la période a été propice à faire le tri, vendre ce que l’on ne porte plus et renouveler nos gardes-robes. Ce phénomène a accéléré l’adoption de la seconde main, notamment en ligne. Cela touche toutes les classes sociales qui dépensent dans des boutiques ou sur des plateformes telles que LeBonCoin, Vinted ou Vestiaire Collective. Ce changement de mode de consommation s’associe à une prise de conscience de la surabondance d’habits neufs. Cet engouement engendre en revanche une augmentation des prix pour ceux qui, par le passé, avaient accès à des pièces moins chères dans des endroits tels que Emmaüs. La seconde main désormais prisée par des personnes plus aisées a généré une augmentation des prix et est de ce fait devenue moins abordable pour les plus défavorisés. Il n’empêche que problème de surconsommation pourrait également s’appliquer au marché de la seconde main. Le problème n’est pas de savoir si la production du vêtement est éthique mais plutôt s’il y a un réel besoin de faire une razzia en friperie et de se procurer quatre jeans, cinq t-shirts, deux pulls, une jupe et deux robes en un panier. L’aspect bon marché produit les mêmes effets que les bas prix des grandes enseignes, les soldes ou autres réductions : il donne envie d’acheter plus, pour moins cher.

Autrement dit, chacun de ces modes présente des avantages et des inconvénients. Il faut être sensibilisé et avertir les clients sur l’envers du décor de la fast fashion. Lorsqu’on voit des offres très attrayantes, une livraison 24h et bien d’autres avantages, il faut se poser la question : comment peut-on avoir un produit à un coup aussi bas ? Si un produit est si peu cher, est-ce que quelqu’un n’aura pas payé le prix fort pour nous ?

Consommer mieux oui, mais consommer moins est encore mieux. La réelle question est «en ai-je réellement besoin ?», «n’ai-je pas déjà ce modèle en trois couleurs différentes dans ma penderie ?» Indéniablement, il faut apprendre à se modérer. Au lieu de souhaiter renouveler son dressing sans cesse, il est préférable d’avoir des pièces fortes et intemporelles car comme disait Saint Augustin, «le bonheur c’est de continuer à désirer ce que l’on possède».

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