« À l’oiseau le nid, à l’araignée la toile, à l’homme l’amitié »

First Cow, Kelly Richard, 2019

Présenté au public français lors de la 46ème édition du festival de Deauville, le film de Kelly Richard sort enfin….mais pas en salles. La réalisatrice a décidé de s’adapter radicalement à la situation et présente son film en exclusivité sur la plateforme MUBI. Le rapport que nous portons au salles est-il en train de changer ou est-ce une simple adaptation à la situation ?

Alors que le nombre d’entrées par semaine n’est encore revenu à la normale, le nombre d’inscriptions sur les plates-formes de streaming ne cesse d’augmenter depuis 1 an et demi ( plus de 12 millions d’inscrits sur Disney+ depuis fin Mars). Véritable onde de choc de l’épidémie du Covid, les salles retrouvent difficilement le public français pourtant si friand de cinoche, les petites productions luttent pour survivre face aux Blockbusters et surtout les films s’impatientent. Lors de la réouverture des cinémas, 450 films attendaient impatiemment d’être montrés au grand public. Alors, devant la concurrence féroce, et malgré les accords inédits passées entre les distributeurs pour accorder de la place au petits films, First Cow se présente au public sur une plateforme.

Cessons de nous inquiéter pour nos salles… et revenons à nos vaches…Vous m‘avez bien entendue. En effet le dernier film de Kelly Richard nous parle de vaches. Et pas de n’importe quelle vache mais de la première vache arrivée en Amérique du nord dans les années 1820. Deux vagabonds, l’un est cuisinier (Cookie), l’autre est un fugitif d’origine chinoise (King Lu). En repérant la vache possédée par un haut membre de la société, ils décident de voler du lait toutes les nuits pour ouvrir un commerce de beignets au miel. Dans ses paysages glaçants et boueux, les beignets sont plus qu’appréciés mais ils s’avèrent être un succès dangereux.

Le film revient sur une problématique fondamentale au cinéma: comment filmer l’Histoire ? Comment mettre en scène le passé à l’image ?

En effet les corps filmés sont des corps du 21ème siècle et non du 19ème. Malgré les costumes, maquillages, les tentatives d’apprentissage du parler de l’époque, les corps portent en eux la vérité intrinsèque de leur siècle. Ils appartiennent à une époque qui bloque toute réalité dans le film historique et qui empêche toute parfaite reconstitution.

La reproduction historique portée à la toile pose un deuxième enjeu : l’identification. Si un film historique tentait d’être au plus proche possible de la réalité de l’époque, le spectateur du 21ème siècle ne pourrait s’identifier aux personnages à l’image car ils seraient beaucoup trop éloignés de sa réalité. S’il n’y a pas d’identification, il n’y aura pas d’émotions stimulées chez le spectateur. Il est donc important de trouver un juste milieu entre la réalité du spectateur et la réalité de l’époque à l’image.

Dans First Cow, ce que Kelly Richard nous propose c’est un rythme. Une lenteur de vie de l’époque où les tâches quotidiennes sont achevées avec minutie, patience et délicatesse : cueillette, préparation des repas, chasse… Elle introduit également le lieu comme 3ème personnage principal, comme une entité vivant pleinement et faisant tout autant évoluer l’histoire que les deux personnages principaux. La forêt vivante où évoluent les personnages semble se répéter infiniment. L’ensemble se révèle incroyablement contemplatif, et vous submerge dans une beauté inattendue. Après s’être perdus dans cette foret hypnotisante, vos yeux vous remercieront.

Quand à votre tête, si vous n’êtes pas adepte du Yoga, First Cow peut être une alternative pour en sortir apaisé et calme, car c’est dans une douceur de vie incomparable que le film évolue. Une douceur si agréable et confortable qu’une soudaine peur indescriptible de la voir rompue et disparaître, s’emparera de votre corps.

Enfin, First Cow, c’est également un hymne à l’amitié masculine, et l’évolution commune de deux êtres. Être accompagné, même si ce n’est pas la meilleure compagnie espérée, est parfois mieux que d’être seul. King Lu et Cookie deviennent l’incarnation parfaite de la citation de William Blake, que Kelly Richard prendra soin de mentionner à la fin de son film : « À l’oiseau le nid, à l’araignée la toile, à l’homme l’amitié ».

Si vous voulez vivre l’expérience First Cow, rendez vous sur la plateforme Mubi, sinon dans certaines salles a partir du 27 octobre, au encore au centre Pompidou pour la retrospective sur le travail de Kelly Richard.

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